La gestion durable des terres et l’amélioration des conditions de vie des populations locales sont des défis majeurs pour la conservation de l’environnement. Face à ces défis, le Centre de Recherche Forestière Internationale et le Centre International de Recherche en Agroforesterie (CIFOR-ICRAF), avec le soutien du ministère fédéral allemand de la Coopération Economique et du Développement (BMZ), a initié en 2021 un projet de recherche-action participative intitulé « Protéger les droits fonciers, les forêts et les moyens de subsistance » au Cameroun et à Madagascar. Ce projet contribue à l’atteinte des objectifs de l’initiative AFR100, qui vise à restaurer environ 12 millions d’hectares au Cameroun et 4 millions à Madagascar d’ici 2030.
Avec plus de 113 millions d’hectares de terres dégradées à restaurer sur le continent africain, la restauration des paysages forestiers (RPF) offre une opportunité unique de concilier protection de l’environnement et amélioration des moyens de subsistance locaux. Cependant, comme le souligne Anne Larson, Chercheure Senior – Responsable de la thématique sur la gouvernance, l’équité et le bien-être et responsable du projet au CIFOR-ICRAF, « cela nécessite de surmonter des défis systémiques, notamment l’insécurité foncière ».
Discussion en petit groupe, Ambatoben’Anjavy, Madagascar. Photo par U.R Photographie
Le projet aborde simultanément trois problématiques interdépendantes : la restauration des paysages forestiers, la sécurisation foncière et l’amélioration des moyens de subsistance, notamment en matière de sécurité alimentaire. En effet, pour qu’une restauration soit efficace et durable, elle doit s’appuyer sur une gestion foncière solide tout en répondant aux besoins fondamentaux des populations locales. « Sans sécurité foncière, il n’y a pas de développement durable », affirme Anne Larson, soulignant l’importance de ce pilier dans les initiatives de restauration.
Au Cameroun, les travaux de terrain se sont déroulés dans les communes de Dzeng et de Yoko, avec l’appui de partenaires locaux, tels que l’Agence allemande de coopération internationale pour le développement (GIZ). À Madagascar, les recherches ont été menées dans les communes rurales de Sadjooavato (municipalité d’Antsiranana II), et d’Ambatoben’Anjavy, dans la municipalité d’Ambilobe. Ainsi à Madagascar, CIFOR-ICRAF a collaboré étroitement avec des institutions académiques, telles que l’École Supérieure des Sciences Agronomiques-Mention Foresterie et Environnement (ESSA-Forêts) de l’Université d’Antananarivo, et l’École Supérieure en Agronomie et Environnement de Diego (ESAED) de l’Université d’Antsiranana.
L’implication des étudiants de ces établissements a été déterminante. Leur maîtrise des langues et pratiques locales a renforcé la confiance des communautés locales, facilitant ainsi la mise en œuvre du projet. « Les étudiants, véritables passeurs culturels, ont contribué de manière décisive à la réussite des interventions grâce à leur parfaite connaissance des sites d’études », note Patrick Ranjatson Enseignant-chercheur, Mention Foresterie et Environnement – ESSA-Forêts à Université d’Antananarivo et Co-coordonnateur du Projet. Le projet a également permis de renforcer les capacités des étudiants sur des notions et méthodes clés, telles que la recherche qualitative, la gestion du foncier coutumier et la RPF.
Entretien avec une personne-ressource, Ambatoben’Anjavy Madagascar. Photo par U.R Photographie
Les recherches menées dans le cadre du projet ont mis en lumière l’importance de la sécurisation foncière dans les initiatives de restauration. Cette sécurisation ne se limite pas à l’obtention de titres ou de certificats fonciers ; elle englobe une reconnaissance des droits fonciers coutumiers, souvent non formalisés, mais profondément enracinés dans les pratiques locales. « Comprendre le terrain, c’est déjà restaurer », insiste Andrisoa Nomenjanahary, Assistant de Recherche à ESSA-Forêts, à propos de la nécessité d’une connaissance approfondie des contextes locaux.
En s’appuyant sur les résultats de ses recherches, le Projet a développé une boîte à outils à destination des acteurs de terrain. Cet outil est conçu pour leur permettre de mieux appréhender les contextes locaux avant de lancer des initiatives de restauration. Structurée en cinq étapes, la méthodologie propose une approche progressive, allant de l’analyse documentaire des politiques et pratiques existantes à la cartographie des sites d’intervention, en passant par l’organisation d’ateliers participatifs avec les parties prenantes locales. Ces ateliers sont particulièrement importants, car ils permettent de recueillir des perspectives diverses et d’assurer une implication active des communautés dans le processus décisionnel. La dernière étape consiste à analyser et valider les résultats obtenus, en les ajustant aux réalités spécifiques de chaque site, afin de proposer des solutions durables et acceptées par tous.
L’une des innovations majeures du projet réside dans l’utilisation de l’Analyse Prospective Participative (APP). Cette approche vise à renforcer l’autodétermination des communautés locales en les impliquant activement dans la définition de leur vision à long terme. En 2024, deux ateliers APP ont été organisés à Sadjoavato et Ambatoben’Anjavy. Ces rencontres ont rassemblé une diversité de participants – femmes, agriculteurs, fonctionnaires, représentants des communes – pour réfléchir collectivement à l’avenir de leur commune à l’horizon 2050. « L’APP, c’est redonner aux communautés le pouvoir de dessiner leur avenir, explique Abdon Awono Chercheur au CIFOR-ICRAF et Coordonnateur du projet pour le Cameroun.
Bien que la restauration forestière ou les questions foncières n’aient pas été explicitement mentionnées par les facilitateurs, ces thématiques ont émergé spontanément lors des discussions. Cela témoigne de leur importance pour les communautés, qui ont également mis en évidence le besoin de renforcer la cohésion sociale pour atteindre les objectifs fixés. « Penser à 2050, c’est déjà agir aujourd’hui », rappelle Patrick Ranjatson.
Le projet a ainsi permis de combler plusieurs lacunes souvent observées dans les approches de restauration des paysages forestiers. Contrairement aux initiatives passées, où les spécificités locales étaient fréquemment ignorées, cette démarche intègre pleinement les dimensions sociales, économiques et culturelles des territoires concernés. « Restaurer un paysage, c’est bien plus que planter des arbres », souligne Philippe Guizol, Chercheur Senior au CIRAD et conseiller principal du projet.
CIRAD et CIFOR-ICRAF. En sensibilisant les décideurs politiques et les leaders locaux aux enjeux fonciers, et en impliquant activement les communautés, ce projet jette les bases d’une restauration inclusive et durable.
En somme, ce projet de recherche-action apporte des réponses concrètes aux défis de la restauration des paysages forestiers dans des contextes complexes. Il démontre que la restauration ne peut pas se limiter à la plantation d’arbres, mais doit inclure une gestion holistique des ressources naturelles et des dynamiques sociales, tout en plaçant les communautés locales au cœur du processus. Cette approche novatrice constitue une avancée significative vers des solutions durables, conciliant protection de l’environnement et bien-être des populations.
L’Équipe du projet avec les participants à l’atelier dans la commune d’Ambatoben’Anjavy, Madagascar. Photo par U.R Photographie
Le projet de Recherche -action participative « Protéger les droits fonciers, les forêts et les moyens de subsistance » a été conçu pour développer des outils permettant aux responsables de programmes de restauration des paysages forestiers (RPF), aux praticiens, ainsi qu’aux décideurs politiques de mieux comprendre le fonctionnement des régimes fonciers communautaires et de garantir la sécurité foncière. Financé par le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung ou BMZ) dans le cadre de son initiative visant à accompagner les pays africains pour atteindre leurs objectifs de restauration, le projet adopte une approche axée sur le changement à différents niveaux de gouvernance et secteurs de la société pour encourager les réformes des droits fonciers. Le projet compare les systèmes fonciers communautaires à Madagascar et au Cameroun, deux pays africains qui investissent dans la réforme foncière et la RPF.
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